• Angelique Ionatos & Katerina Fotinaki, concert à l’Atelier, 22 février

    A. Ionatos et Katerina Fotinaki
    Il y a des vins longs en bouche et des concerts au magnétisme rémanent, un an après je peux parler du concert d’Angélique Ionatos et de Katerina Fotinaki.

    Elles reviennent à Paris au théâtre de l’Atelier pour un concert le 22 février 2010 à 20h30 ("Comme un jardin la nuit"), après plus d’un an de tournée en France et à l'étranger.

    Deux conteuses accompagnées de leur lyre (on dit « guitare » aujourd’hui) avancent sur scène pieds nus dans de longues robes noires moirées adoucies d’un châle rouge foncé et s’assoient devant nous, pour raconter. Derrière est tendu un rideau "d’un bleu très noir" aux reflets violets. Angélique Ionatos traduit en français l’essentiel des paroles de chaque chanson avant de les interpréter, avec toujours cette tendre attention pour les auditeurs, mêlée parfois d’un peu de condescendance amusée à cause de leur ignorance du grec.

    Les yeux ronds d’Angélique Ionatos, ses deux perles noires un peu lointaines, son visage blanc coiffé de boucles noires perlant autour de la tête, lui donnent un regard de fresque un peu froid, c’est la Sappho de Pompei qui s’est détachée du mur pour sortir prendre l’air dans un jardin la nuit. Il y a une douce fermeté chez elle, comme on aime souvent ces caractères qui vous donnent une bonne assise dans des draps bien chauds.

    Katerina Fotinaki est grande, d'une solide stature, large d’épaules, une korè grecque sortant de l’eau, une sirène d’argent, rayonnante et sombre. Noire est sa paupière, blanc son visage, noirs ses cheveux tirés et plaqués, un sourire diffus illumine ses lèvres, son regard est dense, concentré.

    Sa voix survole et frôle lorsque celle d’Angélique Ionatos résonne gravement, et lorsqu’elle chante a capella « giati pouli den kelaidis ? » -pourquoi [ne chantes-tu pas] mon oiseau ?-,  elle est cristalline, tendue, elle nous entraîne pour filer entre les cimes grecques. La voix tanique d’Angelique Ionatos soutient un chant qui ressemble à une sourde plainte mais pas écorchée vive.

    Cordes et vent - accordées, elles déploient toutes les textures de leur voix, toutes les couleurs de leurs cordes, on entendra aussi l’harmonica et les percussions à la guitare. Toucher net, épurer les notes, les arrondir ou leur donner des angles, cisailler.

     


    On se laissera bercer de musiques qui enveloppent l’oreille dans un beau tissu lourd aux couleurs chaudes, damassé.

    Dans le silence qui précède le début d’un morceau, on est comme suspendu, l’oreille aux aguets, prêt à laisser glisser des notes de feutre le long du pavillon.

    La rigueur, celle d’une formation classique, ce cadre, l’axe qui permet de filer, tisser les notes, donnent à ces musiques ("populaires" ?) une majesté tranquille. Les musiques sont pour la plupart de Manos Hadjidakis, l’un des compositeurs grecs les plus connus, et d'Angélique Ionatos, sur les textes des poètes tels qu'Odysseas Elytis, Nikos Gatsos, ou Sappho.

     


    Le tango mnémotechnique, explique Angélique Ionatos, est une création de Katerina Fotinaki, qui, avant de devenir chanteuse professionnelle, enseignait le grec ancien. Elle avait donc créé un morceau pour permettre à ses élèves de retenir les … anatomies paroxytales antonymies prosopicales - προσωπικες αντωνυμιες = prosopikes antonymies, en grec- , c’est-à-dire les pronoms personnels. Un tango en grec ancien, donc. Ce morceau-là est quand même destiné à nous laisser circonspect, on ne comprend rien, « Antonomachin ou prosopitruc, bah c’est pâreil ! », le morceau semble gai, donc on sourit l’air un peu bêta. Mais lorsque dans la salle il y a des hellénistes, ou même des grecs, ça peut déraper. C’est ce qui s’est produit au Triton (aux Lilas) le soir où j’ai assisté au concert. Alors que les premiers mots rebondissaient joyeusement sur les notes en passant inaperçu, que nos deux grandes professionnelles s’amusaient avec brio à l’abri d’une écoute connaisseuse, un rire a tout-à-coup éclaté, là, juste devant, juste devant la scène ! Cet éclat était d’une telle fulgurance qu’il a entraîné une avalanche de fous rires complices au premier rang. C’était un rire surpris qui a secoué d’un coup une grecque très sage et qui a percé la bulle musicale et la tension des deux artistes : Katerina Fotinaki et Angélique Ionatos se sont alors piquées du regard, comme deux fillettes découvertes en flagrant délit  à faire des bêtises ! Elles ont gratté leur guitare, accélérant pour fuir, mais ont été rattrapées par ce rire, qui a pris d’assaut les deux forteresses, comme on éternue frôlé par le vent. Elles cherchaient à se contrôler. Cela n’a pas arrangé les choses. La salle a suivi sans tout à fait comprendre, mais il suffisait d’imaginer simplement que l’on récitait des pronoms personnels sur un tango, « den ehi klediki ! » pour conclure le pas de danse.

    Le lendemain du concert, j’émergeais du rêve avec une voix qui me soufflait que la plénitude que j’allais ressentir au réveil serait due aux ondes dionysiennes diffusées la veille. Et j’ai souri en ouvrant les yeux.



    Liens/ Links :
    Site d'Angélique Ionatos
    Théâtre de l'Atelier (Paris 18e)
    Un extrait (Xenitemeno mou pouli)
    Une interview de mondomix.com
    Dates des prochains concerts en France
    Angelique Ionatos : quelques albums à écouter en ligne

    Et sur ce blog :
      Agenda des concerts
      Concert à Naxos
      Avec Cesar Stroscio
      A. Ionatos chante Odysseas Elytis :
          Η νεφέλη * La Nuée
          Τα τζιτζίκια * les Cigales

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  • Commentaires

    1
    Samedi 6 Mars 2010 à 15:31
    monique
    Merci
    je ne manquerai pas le prochain passage de l'une ou l'autre.
    2
    Samedi 6 Mars 2010 à 18:02
    Annel'eau
    Voilà un concert auquel j'aurais aimé assister !! J'écoute souvent A. Ionatos .
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    3
    Dimanche 7 Mars 2010 à 21:29
    Dornac
    Bonsoir Monique,
    Elles seront en région parisienne ce sera Fontainebleau le 23/10/2010 (voir le lien vers les tournées en France).
    ~~~~~~~~~~~~~~~~~** zzzzzzzooiii deux comètes !
    4
    Dimanche 7 Mars 2010 à 21:30
    Dornac
    Bonjour Annel'eau,
    Il est peut-être encore temps (voir lien "tournée en France") ?
    5
    Lundi 8 Mars 2010 à 01:53
    Annel'eau
    Si A. Ionatou passait dans ma région, j'aurais dèjà ma place! :-)) Et bien entendu j'étais dèjà allé vérifier !! Une fois de plus, merci pour cet énorme travail que vous faites pour rendre votre site complet,attrayant et instructif pour ceux qui aiment la Grèce et sa culture contemporaine...
    6
    Mardi 9 Mars 2010 à 08:09
    Dornac
    Merci beaucoup pour cet encouragement.
    7
    Vendredi 4 Juin 2010 à 09:58
    Dornac

    Bonjour Anna,

    Merci de donner de bonnes nouvelles de la tournée de Katerina Fotinaki et Angelique Ionatos.

    La chanson de Katerina Fotinaki est la récitation des pronoms personnels en grec ancien, ils sont accessibles sur internet:

    "égo, émou, émis, émi" en grec μς, μ, μν (...) : ce sont les déclinaisons de "moi, mon..." en grec ancien
    "sou kai si kai si" : déclinaisons de "tu" - "kai" signifie "et" en grec moderne.

    " o imos, imi : déclinaisons de "le mien", etc.

    Il  suffit de cliquer sur les liens et vous aurez les diverses déclinaisons en grec ancien ("mon tonson, ma tasa, mes tessés, nos voleurs..."), si vous le lisez, vous n'avez qu'à suivre (la prononciation du grec ancien est différente du grec moderne), sinon, eh bien laissez-vous porter par la musicalité de la langue, les mots magiques.

    Ce qui est drôle surtout c'est la manière très expressive dont elles le chantent, comme s'il s'agissait de paroles extraordinaires : et ça marche !

    Il fallait oser.

    Mais, il y a sûrement un mystère... bien sûr...

    * et le gag du jour, c'est que JUSTEMENT, je fais encore des erreurs avec les pronoms personnels - qu'une amie grecque a dû me corriger pas plus tard qu'hier en grec moderne

    8
    Lundi 7 Juin 2010 à 09:58
    Dornac

    Quelque chose me dit que vous n'en êtes pas encore vraiment convaincue...

     

    On peut imaginer que certains mots changent selon les concerts, après tout... qui entendrait qu'au cours d'une chanson Angelique Ionatos glisserait, en grec, un "j'ai perdu le do de ma clarinette"  et que Katerina Fotinaki lui réponde, dans la même langue bien sûr, un : "il est en face" ?

    9
    Mardi 8 Juin 2010 à 18:01
    Dornac

    Je partage tout à fait votre sentiment, c'est aussi pour ça que j'apprends le Grec.

    Alors, le Grec, ça vous chatouille ou ça vous gratouille ?

    10
    Mardi 8 Juin 2010 à 23:03
    Dornac

    Ha c'est une bonne idée des cours de grec avec Katerina Fotinaki ! Des cours de grec et de guitare : ça gratouille et ça bafouille. Pour les chatouilles heu... :x (censure)

    11
    anna
    Jeudi 18 Avril 2013 à 09:46
    anna

    J'ai eu la chance de les voir le 27 mai à Gignac.Ca marche vraiment bien et j'espère qu'elle continueront à collaborer.Mais qu'en est il de ce tango?Il y un sens caché?Pourriez vous éclairer ma lanterne?En vous remerciant d'avance.

    12
    Anna
    Jeudi 18 Avril 2013 à 09:46
    Anna

    Aaah merci. je pensais qu'il y avait des jeux de mots...

    13
    Anna
    Jeudi 18 Avril 2013 à 09:46
    Anna

    Pas moi, ca c'est sur! De toute manière, le Grec est une très jolie langue à écouter,meme si on comprend rien...

    14
    Anna
    Jeudi 18 Avril 2013 à 09:46
    Anna

    Ca me gratouille.Neamoins si j'apprenais le grec je devrais réflechir afin de comprendre les paroles au lieu de simplement profiter de cette musicalité.Quoique avec Katerina Fotinaki comme prof, je signe tout de suite.

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