Still life : Dimitris Papaïoannou au Théâtre de la Ville à Paris (2015)
Avec pour fil conducteur le mythe de Sisyphe et pour support le tableau, Still Life (« Nature morte ») offre aux danseurs une entrée en matière, au sens propre.
Dimitris Papaïoannou a une formation de plasticien : il a fait l'école des Beaux-Arts d'Athènes sous la direction de Dimitris Mytaras et Rena Papaspyrou. Il a également étudié aux côtés du peintre Yannis Tsarouchis et a reçu un prix en 1990 à Marseille pour les jeunes artistes. C'est plus tard qu'il a choisi d'être danseur et chorégraphe.
Still Life est un rêve construit à partir d'images fortes et qui sourd encore au réveil sans qu'on puisse en donner la raison.
Le chorégraphe joue avec les quatre éléments de la philosophie présocratique (l'eau, l'air, la terre, la feu), avec l'infiniment grand et l'infiniment petit, l'atome et l'univers.
Photo : Dimitris Theodoropoulos
Carré blanc sur fond noir et les métamorphoses de Sisyphe.
Un homme seul déplace son tableau blanc comme Sisyphe son rocher. Il est bientôt rejoint par d'autres danseurs qui comme lui sont des acrobates qui se déplacent avec et autour du cadre – le tableau – y entrent, s'y encastrent, en sortent, dansent avec les objets, tentent de fusionner et faire parler les textures, des textures qui font tousser, par lesquelles on est habituellement pénétré sournoisement. Ces « matériaux pauvres », le plâtre, la brique couleur béton sont mis en scène dans une configuration qui rappelle l'arte povera (voir les œuvres de Yannis Kounellis).
Les danseurs sont aussi les musiciens : ils exécutent une musique concrète faite du son des craquements d'un bloc de plâtre, des poussières de ce plâtre tombant sur le sol et écrasées par les chaussures, des froissements doux et stridents, des déchirures, de la plainte irritante du fil inflexible métallique qu'on décolle du sol, de l'air qui passe entre les tissus, les plastiques, de l'ondulation des matières, du choc des blocs.
Incessamment, il s'agira de s'interroger sur le fait de sortir du cadre ou y rester encastrer sous forme de triskèle, de pieuvre et autres coureurs qui sillonnent les décorations des vases antiques, de jouer à cache-cache avec l'Autre en prenant sa place, en se transformant, en s'accouchant et d'ajouter une pierre à un édifice invisible, monter les marches d'un palais absent, faire le travail absurde de l'Homme.
Photo : Euripides Laskaridis
Photo : D. Theodoropoulos
Un vent liquide, un fantôme qui s'éloigne, l'eau et l'air se mélangent.
Dimitris Papaïoannou utilise aussi des « matériaux nobles », messagers d'espoir, supports de rêves : voile soyeux qui, en gonflant, prend des aspects liquides, plastique translucide dont l'agitation souffle et sculpte le drapé de la tunique d'une femme.
Cette statue prend l'air, elle est immobile, sa tunique vibrante la rend vivante. Vision fantomatique à laquelle succède une statue antique dressée sur un phallus formé de la fente du dos et des fesses d'un danseur qui courbe sous le poids de celle-ci. Et le temps se couvre, quelque chose mugit.
Les sourciers soucieux scrutent scrupuleusement la terre pour en tirer des fils électrisants, ils semblent tracer des lignes puis déchirent le sol, puis déchirent la terre, le bruit s'amplifie : on ne sait plus s'ils tirent des fils ou percent des trous, leur ballet est destructeur, le bruit du sol arraché, obsessionnel, produit le bruit d'une tempête, puis un cataclysme en s'amplifiant.
Les personnages semblent rétrécir sous le ciel, creuser des tunnels, ils fourmillent, le tonnerre et la foudre grossissent avec leurs pas, avec la force de leurs bras. Le ciel voilé pèse de plus en lourd et les oblige à se courber encore.
Nous sommes les seuls responsables de nos catastrophes.
Enfin, la tempête se lève et le voile devient bulle de voile, s'agite et remonte, semble être une mer infinie à l'envers, au ciel (mais le ciel n'est-il pas une mer?). Un soulagement intense envahit le spectateur – et c'est comme si on sentait l'air entrer d'un coup dans les poumons, on respire de ne plus voir les hommes courbés, de ne plus entendre l'air se fracturer et s'enflammer.
Les hommes caryatides – démarche virile, méditerranéenne – portent la table des agapes : on bavardera, on mangera et on boira, sans doute, l'ouzo.
Dans ce spectacle en noir et blanc où les danseurs habillés de noir sont marqués en haut du dos d'un trait blanc du ciel – comme la marque de la voûte céleste ou comme celle du rocher – , les tonalités de gris sont nuancées par la couleur de la peau, par celle d'un soleil orange fondu, dilué dans un brouillard.
Le noir et blanc et l'absence d'instruments de musique traditionnels auraient pu nous mettre dans une situation de « manque », car c'est l'habillage habituel des spectacles. Or cette chorégraphie est pleine, elle parle beaucoup alors qu'on n'ouvre pas la bouche, elle est d'une grande beauté. Les sensations multiples et fortes viennent de l'intérieur et restent en nous comme une onde, grave, qui vibre longtemps.
Photos : Dimitris Theodoropoulos, Euripides Laskaridis, Miltos Athanasiou, Maria Peteinaraki.
Le spectacle a été créé en 2014.
Εικαστική σύλληψη - σκηνοθεσία - κοστούμια - φωτισμοί: Δημήτρης Παπαϊωάννου Ερμηνεία: Καλλιόπη Σίμου, Παυλίνα Ανδριοπούλου, Δημήτρης Παπαϊωάννου, Προκόπης Αγαθοκλέους, Δρόσος Σκώτης, Μιχάλης Θεοφάνους, Κώστας Χρυσαφίδης, Χρήστος Στρινόπουλος. ηχητική σύνθεση: Γιώργος Πούλιος το σκηνικό σχεδιάστηκε σε συνεργασία με τους Δημήτρη Θεοδωρόπουλο και Σοφία Ντώνα ο επανασχεδιασμός του σκηνικού για την περιοδεία έγινε από τον Θανάση Δεμίρη γλυπτική - ζωγραφική: Νεκτάριος Διονυσάτος βοηθός σκηνοθέτη - διεύθυνση & εκτέλεση παραγωγής: |
Conception artistique - direction - costumes - lumières: Interprètes: Kalliopi Simou, Paulina Andrinopoulou, Dimitris Papaïoannou, Prokopis Agathokleous, Drossos Skotis, Michalis Theophanous, Kostas Chrysaphidis, Christos Strinopoulos. Composition sonore : Yorgos Poulios Conception scénique en collaboration avec Dimitris Theodoropoulos et Sophia Dona Adaptation scénique de Thanassis Demiri Sculpture-peinture : Nektarios Dionysatos Assistant à la mise en en scène, direction et producteur exécutif: |
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STILL LIFE (2014) / 2015-2016 performances / trailer
from Dimitris Papaioannou on Vimeo.
Liens/ Links
Dimitris Papaïoannou (website)
Dimitris Papaïoannou au Théâtre de la ville
Dimitris Papaïoannou est le chorégraphe des Jeux Olympiques d'Athènes (2004)
« Pour les JO, ils sont venus me chercher dans un squat, La Maison des artistes, que j’avais réhabilitée et où je travaillais depuis dix-sept ans avec ma compagnie, le Edafos Dance Theatre, précise-t-il. Aujourd’hui, je travaille en free-lance et je fais ce que je veux. J’ai beaucoup de chance. » (www.lemonde.fr)
Articles en français :
Laurine Mortha dans Bachtrack.com
Rosita Boisseau dans Le Monde
Jean-Marie Gourreau dans Critiphotodanse
Articles en grec:
naftemporiki.gr
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