• Comme des lions de pierre à l'entrée de la nuit d'Olivier Zuchuat (2012)

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     Makronissos. Un paysage grec reposé, pierreux, aride, les voix disent les poètes, en français et en grec, elles racontent le quotidien des prisonniers, la torture, l'attente, la compassion : c'est un film doucement violent où la tranquillité du paysage étouffe la souffrance de l'emprisonnement. La musique des langues se cogne à la dureté de l'Histoire.

     

     

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    Le titre pourrait rappeler les lions de Délos qui sur cette île aride, sans végétation, sans maison, avec pour seuls habitants les statues antiques, trônent dans l'allée centrale. Le titre pourrait rappeler aussi les lions sculptés dans le portique de l'entrée du site de Mycènes. « Comme des lions de pierre à l'entrée de la nuit » est un vers du poème de Yannis Ritsos Οι γερόντοι (Les Vieillards), désignant ces geoliers comme figés dans ce paysage, se confondant désormais à sa pierre. Nous sommes en fait sur l'île de Makronissos, devenue un camp de prisonniers pendant la guerre civile grecque (1946-1949) où étaient détenus les opposants, un camp destiné à rééduquer ceux qui pendant la guerre froide avaient choisi d'être communistes.

    Sur des images belles et tranquilles de ruines défilent les anecdotes cruelles, des reconstitutions de messages de propagande braillés dans le micro, des photos d'archive avec des tentes dressées sur les décombres, où l'on gèle l'hiver, où l'on sent la promiscuité des hommes écrasés, mais qui résistent avec la poésie.

     

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    Pour retourner lentement le couteau dans la plaie, l'Histoire retient aussi la surdité volontaire des « démocraties » anticommunistes.
    Un documentaire de la BBC sur les camps de l'île diffuse au monde des images sélectionnées, une propagande anticommuniste. C'est une BBC qui se veut objective et s'interroge d'abord sur les « on dit » de ce camp, taxé de camp de concentration mais qui, selon les journalistes faisant mine de rétablir immédiatement la vérité, n'est en fait qu'un camp de « rééducation nationale » où les communistes réapprennent à penser.

    Mais les poètes témoignent, ils savent que c'est parce que tous ces prisonniers refusent de signer le reniement de leurs idées qu'ils restent emprisonnés, les poètes savent la résistance malgré la torture. Les hommes d'un côté, les femmes et les enfants d'un autre sont là, amassés sous les tentes. Les poètes savent que la propagande des hauts-parleurs menaçants glisse sans laver le cerveau des prisonniers. On étouffe la torture : les poètes exultent leurs cris silencieux sur des morceaux de papier qu'ils cachent, à l'instar de Yannis Ritsos qui écrivait tous les jours et dissimulait ses poèmes dans une bouteille qu'il enterrait.

    Malgré la fin de la guerre civile, le camp a continué de fonctionner, jusqu'à ce que les intellectuels étrangers obtiennent gain de cause à l'ONU.

     

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    Le camp a finalement fermé, mais les prisonniers ont quand même été déplacés en détention sur une autre île, Aït Stratis. Yannis Ritsos sera libéré seulement en 1952, grâce à l'action des poètes tels que Neruda ou Aragon. Il sera à nouveau déporté lors du putsch des colonels en 1967 jusqu'en 1972.

    Les commentaires de ce film sont volontairement limités, le spectateur est donc mis en situation dans cet univers absurde de la persécution, avec l'angoisse de l'abandon, l'incertitude du lendemain. Les mots de Yannis Ritsos, de Tassos Livaditis, Maneleos Loudemis et d'autres poètes grecs résonnent avec pureté, simplement, dignement, sans pathos. Sur l'écran, le crépuscule coule sur les ombres en caramélisant l'horizon. Quelques touristes viennent se baigner sur ce lieu de mémoire, ont-ils déjà oublié ? 

     

    Les textes sont dits par Jean-Claude Dauphin ainsi que Tasos Raptis, Kostas Vassardanis, Yannos Perlegkas, Manos Vakousis, Periklis Moustakis (Τάσος Ράπτης, Κώστας Βασαρδάνης, Γιάννος Περλέγκας, Μάνος Βακούσης, Περικλής Μουστάκης).

    Titre en grec : Σαν πέτρινα λιοντάρια στην μπασιά της νύχτας

    Séance le samedi à 13h à l'Espace St Michel, 7, place Saint-Michel 75005 Paris 5e

    Allez voir ce beau documentaire avant qu'il ne soit plus programmé.

    Des livres :
    Temps pierreux : Makronissiotiques
    , éditions Ypsilon
    L'amertume et la pierre, poètes au camp de Makronissos (1947-1951)
    , éditions Ypsilon

    L'ensemble des traductions du film et des livres cités ci-dessus est de Pascal Neveu.
    Le cinéaste Olivier Zuchuat est d'ailleurs parti de la traduction de Temps pierreux pour réaliser son film, complété par la collaboration d'historiens tels que  Stratis Bournazos pour les messages de propagande dans les camps. 

     

    Liens / Links

    Le site du documentaire (commedeslionsdepierre.net)

     

    Photos : internet

     

     

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