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Les Troyennes de Michalis Cacoyannis (1971) * The Trojan Women
Le film de Michalis Cacoyannis est une adaptation cinématographique de la pièce d'Euripide. Le cinéaste a tourné en anglais et s'est entouré à l'époque de quatre très grandes actrices : Katherine Hepburn, Irène Papas, Vanessa Redgrave et Geneviève Bujold.
► La pièce d'Euripide
La pièce d'Euripide (Τρῳάδες) est une tragédie sans intrigue percutante où l'action est centrée autour de dialogues et de monologues avec pour cadre la prison des femmes de Troie. Elle relate les tensions psychologiques de ces femmes qui, à la fin de la guerre, sont données comme esclaves aux Grecs. C'est une élégie portée par le personnage principal Hécube (incarnée par Katherine Hepburn dans le film), la femme la plus âgée, reine de Troie et mère de Cassandre : elle dénonce l'injustice qui est faite aux Troyennes et exprime son inquiétude quant au destin de sa descendance. Cassandre et Andromaque se résignent. Hélène, la quatrième héroïne, grecque, est considérée comme traître par les siens et maudite des Troyennes. Hélène est destinée à retourner auprès de Ménélas qui veut la tuer. Hécube l'avertit des risques qu'il prend de retomber amoureux d'elle. Les Grecs persistent à écraser Troie en tuant Astyanax (fils d'Andromaque, tué des remparts de Troie) après avoir tué Polyxène (fille d'Hécube morte sur la tombe d'Achille) car ils ne veulent pas de descendance qui pourrait venger les Troyens. Avec Lysistrata d'Aristophane, c'est peut-être une pièce féministe et un pamphlet contre la guerre.
► Le film de Michalis Cacoyannis
Le film fait partie d'une trilogie d'adaptations cinématographiques des pièces antiques d'Euripide : « Electre » (1962), « Les Troyennes » (1971) et « Iphigénie » (1977).
« Les Troyennes » fut une pièce plus difficile à transposer qu'« Electre » (Edith Hamilton a fait l'adaptation anglaise) à cause de sa forme (peu d'action, peu d'intrigue) qui la rapproche de l'opéra plus que les autres pièces antiques, où le personnage principal, Hécube, est constamment en dialogue avec le chœur, représentation des femmes de Troie.
Cacoyannis s'émancipe du huis clos et les personnages vont évoluer dans des décors variés, d'un paysage à ciel ouvert aux grottes où se cache Cassandre. Il ajoute ainsi du sens et des symboles.
Le paysage magnifique de cuestas est celui de l'Espagne où a été tourné le film. Les actrices évoluent dans un univers sec, où l'on sent le poids de la chaleur, où après un premier incendie de la ville, la poussière du sol aride et des cendres de Troie est soulevée à chaque pas et envahit l'espace.Michalis Cacoyannis est resté fidèle à la pièce dans la succession des scènes et des dialogues. Seul le message varie : même s'il conserve le message antimilitariste original, il nuance le propos d'Euripide en disant à plusieurs reprises dans le film qu'Hélène est un prétexte à la guerre de Troie et qu'au fond, les Grecs venaient d'abord chercher l'or des Troyens. Or, on interprète la mission antique des Grecs comme étant une lutte de la civilisation contre la barbarie, car Troie menaçait d'envahir la Grèce et Hélène, symbole de la beauté, devait être sauvée lors de la guerre qui de toutes façons était inévitable. « Les Troyennes », datées d'environ 415 -416 avant J.-C. auraient été écrites après l'invasion de Milos par les Athéniens qui se vengeaient du refus de l'île de participer à la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) : une erreur, selon Euripide. C'est donc un plaidoyer contre la guerre. La dimension économique qui domine dans le film fait sans doute partie prenante de l'adaptation à notre vécu contemporain de l'Histoire. Le message principal du film est politique : il est dédié « à tous ceux qui, sans peur, s'opposent à l'oppression d'un homme par un autre » (en anglais : « We who have made this film dedicate it to all those fearlessly oppose the oppression of man by man », en générique de fin).
Lorsque Michalis Cacoyannis réalise son film, il est depuis 1967 exilé aux États-Unis à cause de l'arrivée de la dictature en Grèce (la Junte : 1967-1974). L'année précédente (1969), le film de Costa Gavras, « Z » est sorti sur les écrans et porté au festival de Cannes de 1969 où il a remporté deux prix. Cette période est également marquée par la guerre froide et les États-Unis sont pris dans la tourmente de la guerre du Vietnam.
Le réalisateur avait déjà mis en scène au théâtre la pièce d'Euripide huit ans plus tôt à New-York et avait rencontré un certain succès. Mikis Théodorakis, alors libéré de son emprisonnement (au moment où sort « Z » il était encore emprisonné) et autorisé à s'exiler grâce aux pressions internationales, a fait la musique et y a introduit celle d'«otan sfiggoun to xeri» («quand ils serrent les poings»), un chant révolutionnaire, à l'origine composé sur les paroles de Yannis Ritsos (dans Grécité) mais dans le film sur des paroles anglaises qui correspondent au chant du chœur des Troyennes. Cette chanson combative s'oppose à l'atmosphère que dégage le thème principal de la musique qui rappelle les paysages que la caméra décrit : des étendues minérales évoquant une sourde angoisse, celle de l'absence de vie, de l'insignifiance de l'existence humaine.Les actrices sont extraordinaires et filmées de façon exceptionnelle. L'arrivée de chacune d'elle est puissante, adaptée à son personnage, les gros plans sont très beaux : on ressort impressionné, marqué par l'intensité de leur jeu et leur beauté.
Certes, la pièce est une longue plainte, mais la mise en scène et le jeu des actrices n'en font pas quelque chose de lourd, même s'il était nécessaire dans certaines scènes de faire référence aux pleureuses des enterrements grecs.► Extraits (english trailer) avec les moments forts de chaque «performance d'actrice» :
Hécube (Katherine Hepburn) apparaît à l'écran comme sortant des cendres de Troie : elle gisait sous des haillons et se relève pour résister une dernière fois. Katherine Hepburn n'est pas seulement la reine de Troie qui est prête à mourir avec les cendres de sa ville, la voix des femmes opprimées, c'est la force de la résistance, avec même une dimension christique lorsqu'elle retrouve le cadavre de son petit-fils Astyanax.
Le «prêche». Une image qui en rappelle une autre : celle
d'une femme dont le fils avait été tué lors de
grèves en Grèce (1936), parue dans les journaux et qui a
inspiré l'Epitaphios de Yannis Ritsos.Sa haine contre les Grecs se déchaîne lorsqu'elle apprend qu'elle deviendra l'esclave d'Ulysse, qu'elle considère comme son pire ennemi. Elle disparaît dans le néant nocturne et la poussière, les images sont très belles, du début à la fin du film. On suit ce personnage central, clé de voûte de la pièce sans s'ennuyer grâce au jeu de l'actrice et à la mise en scène.
Cassandre (Geneviève Bujold) est surprise dans sa grotte dont elle sort, enflammée et apeurée par ses visions prophétiques apocalyptiques auxquelles personne ne croit, entière, mais comme un animal traqué. Geneviève Bujold mène le jeu jusqu'à l'hystérie car Cassandre est considérée comme folle par sa propre mère Hécube. Elle se résigne pourtant à devenir l'esclave d'Agamemnon et prédit son assassinat.
Andromaque (Vanessa Redgrave) arrive sur un attelage avec son fils et les armes de son mari défunt, Hector.
Elles est résignée quant au fait d'être donnée aux Grecs et n'a pas la capacité de résistance de sa belle-mère, Hécube. Elle change pourtant radicalement d'attitude lorsqu'elle apprend par Talthybios que son fils Astyanax sera jeté du haut des remparts de Troie (et Cacoyanis, sans concession, pousse la cruauté jusqu'à nous montrer l'horrible scène). La caméra tourne autour de cette femme qui tout-à-coup devient une mère désespérée et tout est fait pour que l'on saisisse cette maternité douloureuse dans le regard en contre-plongée sur l'enfant, dans les cris de douleur de cette femme.
Hélène (Irène Papas) apparaît d'abord dissimulée par un voile sous les huées de la foule dans la nuit, sur un attelage, puis le matin, derrière les planches d'une cage qui lui sert de prison et de protection. On ne distingue que son regard qui observe la scène.
Une scène extraordinaire suit alors : les Troyennes ont soif et les soldats refusent de leur donner à boire. Lorsqu'elle demande de l'eau, le garde n'ose refuser et lui glisse une écuelle dans laquelle – la scène est très sensuelle – ... elle se lave ! Cet acte déclenche alors une révolte. Cette magnifique scène n'existe pas dans la pièce et l'idée est géniale.
À nouveau on retrouvera l'idée de la puissance de la séduction d'Hélène, la plus belle femme du monde (l'incarnation humaine d'Aphrodite), au moment où Ménélas vient la chercher pour la tuer : elle essaie de le convaincre qu'elle a été forcée par Pâris et les déesses et raconte une histoire sur les rivalités des déesses (la pomme de Discorde) en lui tournant autour tout en le fixant, ensorceleuse et en laissant le regard des Troyennes et des Grecs plonger dans sa chute de reins révélée par le superbe décolleté de son dos (elle est irrésistible et fatale, même de dos) - un an avant le même décolleté (mythique) de Mireille Darc dans Le grand blond avec une chaussure noire d'Yves Robert.
Le portrait du chœur des Troyennes est magnifique aussi : on retrouve le chœur antique répondant aux protagonistes, mais également la tradition grecque des Miroloï (Μοιρολόι, lamentations), le ressentiment du peuple à l'égard des élites, ainsi qu'une scène déjà vue dans « Zorba le Grec » (1964) de M. Cacoyannis, celle de la lapidation d'une femme et c'est la même actrice, Irène Papas qui incarne la femme lapidée.
► Personnages
Hécube : épouse de Priam, reine de Troie, mère de Cassandre,
d'Hector (tué par Achille), de Pâris (tué par Philoctète) et de Polyxène,
future servante d'Ulysse.Les acteurs
Katherine Hepburn
Cassandre : Fille d'Hécube et Priam, prêtresse d'Apollon,
violée par Ajax et confiée à Agamemnon.Geneviève Bujold Andromaque : fille d'Eétion, femme d'Hector, mère d'Astyanax, future
femme du fils d'Achille Neoptolème.Vanessa Redgrave
Hélène : fille de Zeus et de Leda, amante de Pârie
et ex-femme de Ménélas.Irène Papas Talthybios : messager des Grecs. Brian Blessed Ménélas : mari d'Hélène, roi de Sparte. Patrick Magee Astyanax : fils d'Andromaque et d'Hector, petit-fils d'Hécube.
Polyxène : fille d'Hécube, frère de Cassandre (absente).
Alberto Sanz
► Une autre bande annonce en anglais :
► Le film intégral en anglais :
Links / Liens
Un article perspicace et juste sur le film (wild-wild-western.over-blog.com)
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Tags : Cinéma grec, Les Troyennes, Michalis Cacoyannis, The Trojan Women, Euripide
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